Violences hiérarchiques et petits arrangements
Lutter contre ces maux qui minent la démocratie et l’égalité à l’Université
Organisation atypique de la Fonction Publique d’État, l’Université en France est régie selon le principe de collégialité, c’est-à-dire du gouvernement par les pairs des activités pédagogiques et scientifiques. Cette spécificité tend à être remise en cause par les processus de centralisation et de managérialisation ayant suivi l’adoption de la mal nommée loi d’« autonomie » des Universités en 2007, concentrant le pouvoir de décision dans les mains de l’équipe dirigeante (et de son Président) et réduisant les capacités de délibération des composantes.
En dépit de ce virage vers une Université entrepreneuriale et managériale, nombre de collègues sont attaché.es à leur collectif de travail local et essaient de faire vivre au quotidien la démocratie dans l’organisation de leurs activités. Cela dit, la défense légitime de l’autonomie des composantes ne doit pas consister à fantasmer un retour nostalgique à un passé enchanté – qui n’a du reste jamais existé – ni à occulter les pratiques détestables actuelles qui alimentent précisément les discours contre la collégialité.
Au premier rang de ces relations de travail délétères figurent les brimades voire les violences hiérarchiques, s’appuyant sur les différenciations statutaires, entre enseignant.es (chercheur.es) et agent.es BIATSS, mais aussi entre titulaires et précaires, relations qui confinent parfois à la servitude et au mépris.
Les réorganisations de composantes ont participé de la réduction des effectifs des agent.es dans les scolarités et d'une augmentation de leur charge de travail. Pressurés et en tension constante, les services ne peuvent tourner que grâce à la bonne volonté des collègues. Combien de fois des agent.es administratif.ves ont-illes dû répondre dans l’urgence à une sollicitation tardive pour l’organisation des examens, sans recevoir une considération quelconque pour le travail réalisé ? Comme si ces activités nécessaires au fonctionnement des établissements étaient un dû et les agent.es qui les réalisent étaient corvéables à merci. Durant le mouvement contre la loi LRU, les agent.es BIATSS s’étaient coordonné.es nationalement dans un collectif, nommé les « invisibles », afin de dénoncer leur mise à l’écart dans la lutte mais aussi et surtout dans le quotidien au travail et porter leurs propres revendications en termes de conditions de travail, rémunération et emploi.
Les exemples sont nombreux d’autre part où les enseignant.es-chercheur.es plus « gradé.es » se gardent les cours et les diplômes les plus « valorisés » tandis que les plus jeunes collègues et surtout les précaires viennent boucher les trous de la maquette et corriger les centaines de copies des étudiant.es de 1ère année. Pour les doctorant.es et docteur.es vacataires, prévenu.es en général au dernier moment, une fois que les titulaires ont établi leur service, ces cours sont trop souvent dispensés sans contrat de travail signé au préalable et rémunérés tardivement avec plusieurs mois de retard. Et certain.es titulaires font les gros yeux lorsque ces précaires ont l’outrecuidance de réclamer d’être mieux traité.es, comme s’illes devaient être reconnaissant.es qu’on veuille bien leur céder quelques heures et que leur capacité à endurer docilement la précarité était une condition nécessaire à un hypothétique recrutement – la fameuse « ligne supplémentaire sur le CV ». Nombreux sont les départements à ne même pas convier ces précaires aux réunions et aux Assemblées Générales, comme si leur avis sur la pédagogie, l’évaluation et l’organisation des cours n’avait pas d’intérêt. De plus, les logiques de compétitions et la réduction des temps de recherches poussent également à un renforcement de certaines pratiques prédatrices, notamment lorsque les
directions de thèse n’hésitent plus à utiliser les travaux des jeunes chercheur.es ou à se les approprier pour remplir leur propre CV.
Bien que la situation tende (lentement) à évoluer ces dernières années, il n’est pas rare que des collègues enseignant.es en arrêt maladie ou en congé maternité apprennent à leur retour que leurs cours ont été déplacés, réduits voire supprimés durant leur absence. Ce risque pousse nombre d’entre eux et elles à continuer à consulter leur messagerie électronique ou à prendre des nouvelles auprès des collègues, alors qu’un arrêt de travail devrait les éloigner de l’univers professionnel. Concernant les congés maternité ou adoption, ce sont les femmes qui subissent ces pratiques discriminatoires – ou « quand le genre s’articule au statut de l’emploi ». Gageons que les engagements de l’actuelle direction (remplacer automatiquement ces congés) changeront la donne…
À l’occasion du recrutement d’un.e collègue enseignant.e chercheur.e, les Comités de Sélection (CoS) peuvent donner lieu à des règlements de compte ou à des arrangements entre membres du jury mais aussi au dénigrement ou à des mensonges sur telle ou telle candidature. Sous couvert du secret des délibérations, certain.es collègues érigent ces comités en boites noires, lieux de toutes les bassesses, pervertissant l’idéal de collégialité au coeur du renouvellement de la corporation. Soumis.es au bon vouloir de leurs potentiel.les futur.es collègues, les candidat.es doivent courber l’échine dans l’espoir de figurer en haut du classement. Mention spéciale pour les mutations d’enseignant.es ou l’attribution des postes d’ATER où les décisions et classements se font malheureusement encore trop souvent hors procédure démocratique, sur un coin de table, au bon vouloir des directeur.trices de composantes et de laboratoire.
Faut-il le préciser, ces pratiques ne sont l’apanage d’aucune catégorie en particulier et perdurent de manière plus ou moins importante suivant les composantes disciplinaires. Mais ce n’est qu’en regardant lucidement les relations de travail existantes et en dénonçant les petits arrangements et les violences hiérarchiques que l’on sera en mesure collectivement de défendre (et d’approfondir) la démocratie universitaire face au rouleau compresseur de la machinerie managériale et entrepreneuriale à l’Université.
Pour un service public de l’enseignement supérieur et de la recherche
(réellement) démocratique et égalitaire !
SUD Éducation – Solidaires