Doctorant.es et docteur.es sans poste
entre intensification du travail et durcissement de la précarité
Catégorie du personnel particulièrement touchée par l’intensification du travail et le durcissementde la précarité, les doctorant.es et docteur.es sans poste voient leurs perspectives d’insertion professionnelle dans l’Enseignement Supérieur et la Recherche (ESR) se réduire d’années en années.
Pour les doctorant·es, les conditions de travail continuent de se dégrader, générant un mal être grandissant mais trop souvent passé sous silence. Poussé·es à faire des thèses de plus en plus courtes, à suivre des dizaines d’heures de formations sans lien avec leur projet doctoral, iels sont aussi « invité·es » à multiplier les activités annexes à la thèse afin de valoriser leur dossier. Ces activités permettent de valider des heures de formation obligatoires, qui deviennent d’ailleurs de plus en plus nombreuses. L’organisation d’un colloque national, l’édition d’un numéro de revue scientifique, ou bien encore la publication d’un article dans une revue scientifique permettent ainsi de valider 10h de formation sur les 100h à faire pendant la durée de la thèse, rien que ça !
À cette course à la valorisation du dossier s’ajoutent les contraintes liées à l’encadrement de la thèse. Avec la réduction des offres de contrats doctoraux régionaux, s’iels veulent réaliser un doctorat avec un revenu dédié, les doctorant·es doivent de plus en plus souvent s’intégrer dans de plus vastes projets de recherche. Répondant à l’appel d’offre de leur future direction de thèse, les doctorant.es, simples exécutant.es, ne maîtrisent plus la construction de leur sujet, ni de leur méthode, quand les résultats ne sont pas déjà pré-définis… Nécessaire à la formation du ou de la doctorant.e et surtout au dossier de candidature pour les postes de MCF, les heures d’enseignement sont encore trop souvent proposées tardivement, quand il ne s’agit plus que de boucher les multiples trous dans la maquette.
Revendication ancienne parmi d’autres (mensualisation des vacations et signature d’un contratavant d’enseigner, par exemple…), l’exonération des frais d’inscription pour les doctorant.es ayant une activité d’enseignement est portée par SUD Éducation (et les collectifs de précaires) dans les instances représentatives du personnel depuis de nombreuses années, comme une mesure de justice sociale mais aussi un moyen de reconnaître leur rôle dans la réalisation des missions de l’Université. Ne souhaitant pas étendre cette possibilité à tou.tes les doctorant.es, l’actuelle direction est en revanche favorable à l’étude de cette mesure sous l’angle de la précarité. À la suite d’une nouvelle question des élu.es SUD Éducation lors du Comité Technique de septembre dernier,le Président de l’Université a en effet indiqué être favorable à une exonération des frais d’inscription des doctorant.es non financé.es.
Par ailleurs, dans le déroulement même de leurs thèses, les doctorant·es se voient confrontés à des évaluations constantes : charte d’inscription, rapports d’activités, demandes d’inscription dérogatoire ou encore auditions de l’École Doctorale, et iels le seront davantage au travers de la réforme du Comité de Suivi Individuel (CSI). Dispositif ayant toujours été ambigu, entre espace d’échanges (scientifiques, sur la direction de thèse, prévention des conflits et harcèlement, etc.) et évaluation du travail doctoral, son rôle d’évaluation-sanction est maintenant assumé et accentué dans la LPR. Au travers de cette réforme, c’est bien la capacité d’évaluation du CSI, notamment de la première à la deuxième année et avant toute réinscription, qui est renforcée. S’il est déjà difficile d’exposer les éventuels conflits et d’exprimer les formes de discrimination, de harcèlement moral voire sexuel, notamment lorsqu’ils prennent place avec la direction de thèse, il semble complexe d’imaginer que les doctorant.e.s oseront exprimer leurs potentielles difficultés alors même que le rôle de cette instance dans la possibilité de se réinscrire est grandissante.
De plus, la LPR instaure aussi l’obligation pour les doctorant.e.s de prêter serment afin de pouvoir obtenir leur diplôme « en s’engageant à respecter les principes et les exigences de l’intégrité scientifique dans la suite de sa carrière professionnelle, quel qu’en soit le secteur ou le domaine d’activité ». N’ayant pour l’instant qu’une valeur symbolique, on peut craindre que ce serment prenne progressivement une valeur juridique tout comme le CSI avant lui. La réalisation d’une thèse, accompagnée d’heures de formations obligatoires (notamment à l’intégrité scientifique), validée par des rapporteur.trice.s, par un jury, n’est-elle pas suffisante pour prouver « l’intégrité scientifique » des futur.e.s docteur.e.s ? Guidé par le souhait que les thèses soient réalisées de plus en plus vite (3 ans et pas plus) c’est finalement la légitimité des doctorant.e.s qui est sans cesse remise en cause.
Pour autant, une fois la thèse soutenue, les docteur·es sans poste ne sont pas sorti·es d’affaire. Le très faible nombre de postes publiés chaque année accroît la concurrence entre des dossiers de qualité et contraint les docteur.es à accepter des contrats de recherche, sans lien avec leurs travaux, ou des heures d’enseignement sous statut précaire (ainsi de la généralisation des auto-entrepreneur.ses) afin de rester dans la course.
Dans la perspective d’une titularisation à l’Université, les docteur.es ne sont parfois pas aidé.es par l’institution. Privé.es d'espace de travail quasiment du jour au lendemain, iels peuvent perdre tout aussi vite leur « identité numérique » avec laquelle iels ont construit leur réseau scientifique. SUD Éducation a demandé à plusieurs reprises à la direction de l’Université de Caen Normandie que ce compte (et les services afférant) puisse être conservé le plus longtemps possible par les docteur.es de l’établissement afin de ne pas entraver leur insertion professionnelle. Lors du Comité Technique de septembre dernier, la Directrice Générale des Services a indiqué qu’un formulaire était dorénavant disponible sur le portail « Étude doctorale », onglet « Soutenir sa thèse », de l’université et que la procédure, simplifiée et automatique, serait rappelée aux Écoles Doctorales.
Enfin, si la Loi de Programmation de la Recherche (LPR) crée un statut de « post-doctorant », elle le limite à une durée maximale de 3 années consécutives après la thèse. Passé ce laps de temps, s’iels n’ont pas trouvé un poste pérenne, les docteur·es sont évincé·es de l’ESR. SUD Éducation, comme les collectifs de précaires et les associations de doctorant.es, revendiquent l’abrogation de l’article 7 de la LPR.
Doctorant.es et docteur.es sans poste, ne subissez pas vous conditions de travail, revendiquez vos droits !