Misère de la condition doctorante
ou comment maltraiter ceux et celles qui font tourner l’université
Le service public de l’ESR en France ne pourrait fonctionner sans une armée de réserve de précaires de toutes sortes, ces non titulaires qui constituent jusqu’à un tiers de l’effectif total du personnel des établissements universitaires et scientifiques. Les doctorant.e.s, qu’illes soient allocataires moniteur.trice.s, Attaché.e.s Temporaires d’Enseignement et de Recherche (ATER), Attaché.e.s Temporaires Vacataires (ATV), Autoentrepreneur.euse.s, représentent une part importante et croissante de cette variable d’ajustement des universités en régime d’« autonomie » et en contexte d’austérité.
Ces dernières années, les conditions d’emploi et de travail de ces enseignant.e.s précaires se sont très largement dégradées. A la diminution continue du nombre de « bourses » ministérielles ou régionales, attisant la concurrence entre masterant.e.s et excluant toujours plus de candidat.e.s à la poursuite de leur projet de recherche, s’ajoutent la réduction du nombre d’heures d’enseignement réalisables par les allocataires ainsi que la limitation de la durée des contrats d’ATER à 6 mois (auparavant les ATER pouvaient bénéficier d’un mi-temps annualisé rémunéré à hauteur de 70 % du temps plein).
Pour les doctorant.e.s vacataires, la situation ne s’est guère améliorée, loin s’en faut. Traditionnellement, ce sont les bouche-trous des équipes pédagogiques, récupérant les cours que les titulaires ne veulent pas ou plus faire et recevant leur maigre rémunération de longs mois après les heures effectuées. Dans certains cas, les missions qui leurs sont attribuées excèdent le cadre de leur contrat de travail (surveillance de partiels en dehors des UE dispensées, correction de copies de CM dispensés par d'autres, etc.). Il est cependant difficile de refuser ces exigences lorsque ces heures sont distribuées par les enseignant.e.s titulaires (voire les directions de thèse) et qu’elles peuvent être reconduites l’année suivante ou déboucher sur un contrat plus stable.
Si l’administration a semblé vouloir s’intéresser à cette catégorie du personnel – un peu aidée, il faut le reconnaître, par des doctorant.e.s organisé.e.s – en faisant signer leur contrat avant la prise de fonction (un comble pour une administration d’État) et en tachant de réduire la durée de rémunération (la mensualisation reste une douce utopie), certaines situations sont aujourd’hui dramatiques.
Les doctorant.e.s qui alternent entre vacation et chômage, pour financer leur thèse et tout simplement vivre, se retrouvent régulièrement sans revenu. Lorsqu’illes déclarent des heures d’enseignement, Pôle Emploi suspend leur Allocation de Retour à l’Emploi (ARE), mais compte tenu des retards de paiement de l’université, illes peuvent n’avoir aucune ressource durant plusieurs mois d’affilée. A ces divergences de calendrier, s’ajoutent des problèmes liés aux documents administratifs (type attestation employeur) fournis par l’université et rejetés par Pôle Emploi parce que non conformes. Ces « situations irrégulières » peuvent entraîner une suspension de l’ARE, ou des erreurs de Pôle Emploi, réclamant des trop perçus sans fondement, qui amputent les maigres revenus de ces enseignant.e.s non titulaires. Quel scandale que des agent.e.s vacataires de l’université utilisent leur rémunération pour payer… des agios !
Et dernière nouveauté, depuis l’année dernière (merci Macron !), les voilà pisté.e.s par les contrôleur.euse.s de Pôle Emploi pour vérifier qu’illes recherchent effectivement et activement un emploi, sales profiteur.euse.s ! Que de temps perdu dans ces délires bureaucratiques !
Cette année, avec la suppression de la « sécu étudiante » (que les doctorant.e.s ayant une charge d’enseignement ne payaient pas) et l’instauration de la Contribution Vie Étudiante et de Campus (CVEC), les frais d’inscription pour les thésard.e.s avoisinent les 500 euros ! Ça commence à faire cher l’obtention d’un doctorat et le droit d’entrée pour enseigner ! Rappelons que l’inscription en thèse conditionne la possibilité de donner des cours à l’université. Portée par les collectifs de doctorant.e.s et SUD Éducation, l’exonération des frais d’inscription devait être étudiée par l’administration de l’UCN. Aucune suite n’a été donnée à cette revendication. Dans le même temps, l’année dernière, la direction de l’université décidait, comme mesure de « justice sociale » (sic), d’exonérer de frais d’inscription les MCF désirant passer leur HDR. Sans commentaire...
En dépit de cette précarité (et pauvreté) grandissante et des injonctions ministérielles et locales à des durées de thèse toujours plus courtes, de nombreux et nombreuses doctorant.e.s parviennent néanmoins à soutenir leur thèse, mais illes se retrouvent sur un marché de l’emploi saturé pour cause d’austérité budgétaire. Si le non renouvellement des postes laissés vacants entraîne une surcharge de travail pour le personnel, cette « politique de l’emploi » a pour conséquence de réduire les possibilités d’embauche pour les jeunes docteur.e.s, alors que, on ne le répétera jamais assez, les besoins sont là et en augmentation.
Face à ce tarissement volontairement organisé des perspectives d’insertion professionnelle pour les doctorant.e.s, le ministère et l’université entendent accroître leur « employabilité » par le secteur privé. D’où l’apparition l’année dernière d’un « chargé d’accompagnement professionnel des doctorant.e.s et de la coordination des études doctorales » (ouf !) ayant pour mission de « coacher » les doctorant.e.s pour qu’illes deviennent des « champions » dans la « compétition » pour la « première place du podium »… Payé par l’université, ce chargé de mission s’accapare les missions effectuées par les directions de thèse et les équipes scientifiques des laboratoires, tout en reconnaissant être peu informé du fonctionnement de la recherche…. L’université vous ferme la porte, mais vous forme aux techniques du management pour aller voir dans le privé, sympa, non ?!
Un véritable plan pour l’emploi et l’amélioration des conditions de travail doit s’attacher à éradiquer la précarité (et la pauvreté) doctorante et ouvrir des perspectives d’insertion professionnelle pérenne pour cette catégorie du personnel, dont l’Université a cruellement besoin !
Doctorant.e.s, mobilisons-nous pour défendre nos droits
et améliorer nos conditions de travail, d’emploi et de rémunération !